Don't go breaking my heart. (naveen)

01. Tu n’as pas connu ton père et pour toi, la seule figure paternelle que tu aies connu c’est ton frère. Il a toujours été là pour toi quand ta mère ne l’était pas. Il était là quand elle s’engueulait avec son compagnon du mois. Il était là quand tu ne savais pas trop ce que tu faisais. Il est encore là aujourd’hui et t’espères encore pour de longues années.
02. Tu te persuades d’être hétérosexuel, car la plupart des compagnons que ramenait ta mère chez vous lâchaient souvent des propos homophobes et du coup ça t’a un peu complexé, du coup, même si au fond de toi tu penses être homosexuel, c’est tout bonnement impossible et tu préfères prétendre être quelqu’un que tu n’es pas, plutôt que de vivre dans les complexes et la peur des réactions des autres.
03. Tu n’as jamais eu la chance de pouvoir bien te poser étant gamin, ta mère enchaînant les conquêtes et les lieux d’habitations. Ce n’est qu’à l’âge de tes seize ans que tu as connus un semblant de normalité, vivant aux côtés de ton frère durant cinq années. Depuis ça tu as vécu dans divers appartements, diverses colocations même et là, depuis début 2017, tu vis dans l’immeuble qui appartient à ton frère, du coup tu connais enfin le sens du mot normalité.
04. Tu n’as jamais terminé tes études. Pourtant Dieu sait que tu as tout fait pour aller jusqu’au bout. Tu as eu un diplôme type bac en français, mais c’est tout. Du coup, tu as enchaîné très jeune les petits boulots, bons comme mauvais. C’est pourquoi tu t’es mis dans la revente de drogues et toutes substances illicites, ce qui t’a valu l’arrestation à plusieurs reprises. Heureusement, c’était Lukas qui venait toujours à ta rescousse et ta mère n’a jamais été mise au courant, mais encore récemment tu as fini au poste de police pour avoir fumé un joint dans les toilettes avec un collègue. Ce dernier prétextant que tout était de ta faute, c’est toi qui as pris le blâme et qui s’est fait virer. Retour à la case départ.
05. Depuis début 2017, on t’a embauché comme photographe d’évènementiel. L’art a toujours était un truc qui t’intéressait, tu as toujours aimé photographier, dessiner, peindre et du coup ça t’a fait vachement plaisir que ton frère te sorte de la merde, encore une fois, en t’aidant à trouver ce boulot et un appartement. Tu ne sais vraiment pas ce que tu ferais sans lui. Tu bosserais encore dans les fast-foods ou les bars, alternant entre appartements et chambres d’hôtel. Du coup maintenant tu fais partis d’une entreprise qui te donne des missions et tu vas sur le terrain afin de photographier ce qu’il s’y passe.
06. Tu n’arrives pas à rester sérieux quand il le faut. Du coup, t’as toujours pris les choses à la rigolade, comme le fait de fumer de l’herbe, boire avant l’âge légal, taguer des murs. T’as vraiment fait des conneries étant jeune et encore aujourd’hui il t’arrive d’en faire, mais disons que tu essaies d’être un peu plus sérieux, un peu plus présentable, tu ne veux pas foutre la honte à ton frère ou quoi que ce soit.


Cher journal,
Aujourd’hui j’ai eu un journal comme cadeau d’anniversaire. Maman me l’a offert comme ça, car elle me dit que je devrais écrire tout ce qui me passait par la tête, que ça m’aiderait beaucoup à savoir ce qui se passe dans ma vie et je pense que c’est fort intéressant ! Je ne suis pas très doué pour parler de moi, et Lukas pourra te dire que je parle beaucoup pourtant, mais là je pense que je vais simplement me présenter, après tout tu ne me connais pas encore !

Je m’appelle Naveen Collins, j’ai dix ans et je suis le dernier de ma famille. J’ai un grand frère qui s’appelle Lukas et qui s’occupe très bien de moi, d’ailleurs je ne sais pas comment il fait pour me supporter, mais ça ne me fait que l’aimer davantage. Ma mère est une gentille femme, qui s’occupe de nous comme elle le peut, mais mon beau-père actuel, je ne l’aime pas du tout. Il est méchant, il pue l’alcool et il fume tout le temps. Il n’arrête pas de dire des choses sur les homosexuels, comme quoi c’est contraire à la nature, tout ça. Je ne comprends pas trop ce qu’il veut dire par là, mais je trouve ça méchant pour les gens qui sont comme ça. Heureusement que mon grand frère est là, je l’embête souvent la nuit, car on partage un lit superposé, moi au-dessus, avec des questions très importantes du style ‘est-ce qu’on peut s’arrêter au parc sur le chemin du retour ?’ ou encore ‘est-ce que je pourrais manger un petit-pain demain au lieu d’un BN ?’, ce genre de questions quoi. Du coup, maintenant je vais essayer de t’embêter un peu plus, histoire de le laisser tranquille, car je sais qu’il a d’autres chats à fouetter que de toujours répondre à mes questions idiotes. Du coup je te dis à demain, pour de nouvelles aventures (et questions !).

Naveen, 10ans.


Cher journal,
Je pense que ça doit bien faire un an que j’ai rien écrit entre tes lignes, quelle honte. Moi qui me confiais souvent à toi, je t’ai lâchement abandonné dans un carton, sous mon lit. Heureusement, je viens de te retrouver et je compte bien rattraper le temps perdu !
Les nouvelles ? Maman s’est, encore, trouvé un nouveau mec. J’ai l’impression qu’ils sont pires que les derniers à chaque fois, c’est abusé. Le dernier en date me traitait de pédale, car j’ai osé regarder un dessin animé de fille à la télé par mégarde. Ou encore, car je le reluque un peu trop, d’après ses dires. Je suis juste content que Lukas soit parti de la maison, car je vais enfin pouvoir le rejoindre. Il m’avait promis de m’emmener vivre avec lui dès qu’il est parti et ce jour est enfin arrivé. J’emménage demain et je pense que ça me fera du bien de retrouver ma figure paternelle, car pour être honnête je fais que conneries sur conneries, pour sûr, ma mère n’est pas mieux ! J’ai fumé de la beuh en séchant un cours hier. J’ai ramené de la vodka y a trois semaines histoire de me la raconter auprès de mes potes… Je pense même que je suis gay, enfin, je crois ? J’sais pas. J’ai embrassé ce type à une soirée. On a rien fait de plus, mais ça m’a plu. Mais j’suis pas gay, ça se peut pas, c’est contre nature comme dirait l’autre connard que ma mère se tapait six ans plus tôt. J’suis pas une pédale moi, si ? Je suis perdu. J’ai besoin de mon frère (et de toi aussi, je pense). Je vais aller me reposer, demain Dim’ vient tôt pour me récupérer. Maman ne semble pas triste de me voir partir, son mec lui est content. Bon débarras j’me dis. Allez, bisous.

Naveen, 16 ans.


Cher journal,
Et voilà. Après cinq années à vivre aux côtés de Lukas, me voilà prêt à prendre mon envol. OK je bosse qu’en tant que caissier à la supérette du coin, mais ça paie les factures et mon colocataire est plutôt sympa (en plus d’être mignon). J’appelle Luk’ au moins trois fois par semaine, j’essaie de le voir un weekend sur deux, mais j’ai pas envie de le coller comme étant gosse alors je deviens distant, je lui dis plus tout comme avant et ça me fait mal, un peu. Je suis content que le boulot m’aide à penser à autre chose, mais j’ai rendez-vous avez la police demain, car y a eu un vol et j’ai en quelque sorte couvert mon collègue et du coup je sens que ça va mal se finir… J’ai plus qu’à me retrouver un boulot, j’crois bien. M’enfin, je te tiens au courant, comme toujours. Même si j’me trouve pathétique à continuer de te parler alors que j’ai vingt-deux piges. À tantôt !

Naveen, 22 ans.


Cher journal,
Alors je vais faire court. Ma vie est toujours aussi bordélique. J’arrête pas de faire des conneries. Je ne m’assume toujours pas. Je vis par procuration de mon frère. Je pense que je tomberais jamais amoureux. Je désespère de trouver un jour un semblant de vie normale. Heureusement j’ai trouvé du boulot grâce à Lukas (qui m’a aussi trouvé un appartement, soit dit en passant) et j’ai des voisins assez cools, sauf Gertrude, mais elle est vieille alors faut s’y faire. Je pense que j’ai rien d’autre à te dire, ces quelques lignes retracent plutôt bien ma vie actuelle. J’essaie de me reprendre en main, de sortir de ces mauvaises passes que je n’arrête pas d’enchaîner et je pense qu’avec l’aide de Dim’ et ma bonne volonté, je peux y arriver, alors je persévère, je bosse jusqu’à manquer de sommeil, je sors histoire de rencontrer des gens. Et je te parle, encore, à vingt-sept ans. M’enfin. Je te dis à demain, ou dans la semaine. Allez, bisous.

Naveen, 27 ans.